PSYCHOLOGIE ET DERMATOLOGIE : la psychodermatologie

Psychologie et dermatologie

Saviez-vous que la peau et le système nerveux étaient issus du même feuillet embryologique, l’ectoderme? Il y a en effet de nombreuses interactions et relations entre le système nerveux et la peau : la peau est un organe visible et impliqué dans la relation aux autres et en lien direct avec le psychisme.

Psychodermatologie = Psychosomatique?

Tentons d’y voir plus clair dans les relations entre psychologie et dermatologie, la psychosomatique (ou troubles somatoformes) et ce qu’est le champ de la psychodermatologie.

En dermatologie, on définit classiquement par « psychosomatique » tout trouble somatique qui comporte dans ses causes, à côté des facteurs physiques, des facteurs psychologiques (événements vécus, facteurs de stress, troubles de la personnalité

Le concept de « psychodermatologie » tend à remplacer le concept de « psychosomatique » en dermatologie.

La « psychodermatologie » s’occupe non seulement des maladies cutanées «psychosomatiques » mais aussi :

— des manifestations psychiatriques de maladies organiques (par exemple, le lupus aigu disséminé)

— les manifestations dermatologiques sans cause retrouvée (démangeaisons sans causes dites psychogènes)

— les conséquences dermatologiques des troubles des conduites instinctuelles ou du comportement (pathomimies)

— les manifestations dermatologiques de troubles de la pensée ou de l’identité (délires d’infestation parasitaire, dysmorphophobies)

— les manifestations dermatologiques de la dépression ou de l’angoisse

— le retentissement social et psycho-affectif sur la qualité de vie, des affections dermatologiques (psoriasis, dermatite atopique…)

—  la relation médecin-malade et le rôle de « thérapeute de l’âme » du dermatologue

Classement des troubles psychologique que le dermatologue doit connaitre

Interview d’un psychodermatologue

Le Dr Robert MALET, 65, Bd de Courcelles 75008 Paris

 

1/ La psychosomatique ressemble parfois à un fourre tout. Comment préciser cette notion ?

Dr Robert MALET :

Le terme psychosomatique recouvre en fait deux domaines : – d’une part les interactions (voire l’entrelacement) psychisme et corps ; – d’autre part la relation médecin malade.Les bases physiologiques des interactions psychisme / corps, sont bien établies. Embryologiquement, le système nerveux est la résultante d’une invagination de l’ectoderme, feuillet qui donnera la peau. Cette origine commune aboutit à des relations intimes, avec de très riches terminaisons nerveuses cutanées non seulement dans le derme, mais aussi l’épiderme comme cela a été montré plus récemment, et au contact des cellules de Merkel qui font partie du système immunitaire. On parle d’ailleurs du système neuro-immuno-cutané.De nombreux travaux étudient les conséquences de ces liens neurocutanés. En particulier, au cours de la dermatite atopique, ou du psoriasis existe un lien particulièrement net entre poussées, et vécu psychique des événements.( Cf annexe à propos de la dermatite atopique)

 

2/ Un entrelacement peau – système nerveux, comme s’il n’y avait plus de frontière nette entre corps et système nerveux ?

Le modèle physiologique va dans ce sens. Et c’est bien d’entrelacement qu’il faut parler, car les stimulations se font dans un sens et dans l’autre, avec des systèmes de feed-back qui fonctionnent en boucle, je dirais presque en écho. Il faut bien imaginer, dans tout cela la mise en jeu de cytokines et d’autres éléments du système immunitaire qui ont des effets tant cutanés que neurologiques.Cependant, dans la perspective des relations psychisme et corps, au quotidien, on reste habituellement dans un raisonnement de causalité, au mieux circulaire. En d’autres termes, on envisage :• le psychisme comme facteur favorisant possible de la maladie ;• et éventuellement, en retour, le retentissement de la maladie somatique comme pouvant retentir sur le psychisme.Il s’agit d’un raisonnement causaliste, la maladie corporelle étant présentée comme conséquence d’un dysfonctionnement psychique, favorisant ainsi l’idée d’un clivage corps-esprit. Le psychisme devient un facteur causal possible de la maladie organique, au même titre qu’une hypothèse virale. Cette perspective présente deux inconvénients majeurs :- d’une part, elle sous-entend qu’il existerait l’esprit d’un coté, et le corps de l’autre, l’esprit commandant au corps;- d’autre part, le patient est implicitement rendu responsable de ce qui lui arrive puisqu’il créerait sont symptôme. Cela sous entend que son psychisme ne fonctionne pas correctement.C’est dans cet ordre de pensée que les patients s’entendent dire « c’est psychologique », ou « c’est nerveux » ! . Si parler du rôle du psychisme en médecine, c’est ça ! Alors je comprends le rejet dont la psychosomatique est parfois l’objet.

Au passage, il faut se méfier de la psychologisation du symptôme tant du côté des médecins, que de celui des patients. Ceux-ci nous disent parfois de leur symptôme cutané : « c’est psychologique »; et là, il ne faut pas se laisser embobiner. En effet, nommer une chose n’est pas l’expliquer, et le patient n’en comprend pas forcément le sens et la portée.
3/ Peut-on définir un peu mieux ce facteur « psychologique »?
C’est une des questions à 2 étages. Tout d’abord, ce facteur est-il :- un événement stressant, comme cela a été évoqué pour la pelade et dans ce cas, le stress est-il du à l’événement, ou à la perception de cet événement ? – une structure psychique particulière comme certains travaux le suggèrent. Par exemple, Marty et son équipe ont mis en évidence l’existence de ce qu’ils ont nommé une pensée opératoire (élaboration psychique déficiente, et imaginaire pauvre) chez certains patients porteurs de maladies chroniques. Ils ont proposé l’hypothèse que ce qui ne pouvait se transformer en représentation psychique (mentalisation) pouvait se transformer en maladie somatique. Ultérieurement il est apparu que le fait d’être malade pouvait favoriser le développement d’une pensée opératoire. On peut retenir que l’important c’est la rencontre d’un événement qui prend un sens particulier dans l’histoire et la structure psychique d’un patient, à un moment particulier de son histoire. Ensuite, les facteurs psychologiques jouent-ils réellement un rôle dans la genèse d’une maladie ? Dans les cas de la survenue des cancers, les études n’ont pas, jusqu’à ce jour, montré d’effet du stress ou de la dépression. Par contre, pourraient jouer un rôle dans sa survenue, certains traits de caractère comme la répression émotionnelle, mais aussi certains types de caractère (type C). Les facteurs psychologiques interviennent par contre dans le pronostic. En dermatologie, il est montré que les facteurs psychiques interviennent comme facteur pouvant déclancher les poussées de certaines dermatoses. Mais le déclanchement par un événement psychique ne signifie pas que cet événement ou son vécu soient anormaux. Il faut habituellement un terrain qui rende le sujet plus réactif à un stimulus qui ne déclancherait pas forcément une poussée chez quelqu’un d’autre.Les facteurs psychologiques agissent conjointement aux facteurs environnementaux, biologiques et génétiques. Ce sont à la fois des traumatismes psycho-affectifs, des stress ainsi que des caractéristiques génétiques et de la personnalité des sujets qui sont confrontés à ces stress. Le médecin peut donc aider à démêler cela, au sein de sa relation avec le patient. Cependant il ne connaît pas, « à priori », le rôle du psychisme à la vue du seul symptôme. Ainsi, pour beaucoup de médecins qui s’intéressent à la psychosomatique, la question de savoir si les facteurs psychologiques peuvent être en cause dans la genèse de la maladie, n’est pas une question centrale. Par contre, ce qui nous intéresse beaucoup plus, c’est de ne pas occulter, au-delà du premier plan que représente le symptôme, ce qui se passe autour de ce symptôme, la façon dont il peut venir se cristalliser dans le fil d’un vécu. Ce que nous prenons pour de l’ignorance, des préjugés, et qui sont si irritants pour les médecins, peut aussi se comprendre comme étant une recherche de sens… aboutissant parfois à des contre-sens. L’importance du décalage existant entre la connaissance médicale du médecin, et la connaissance que le patient à de sa maladie, conduit souvent ce dernier à ne pas parler. Il rendra souvent le médecin responsable de cette situation parfois à tort, parfois à raison. L’approfondissement de la compréhension de la relation médecin malade doit nous permettre de ne pas occulter ces plans qui sont masqués par la présentation de symptômes, notamment parce que le sens et le contresens sont des obstacles potentiels à la bonne prise en charge thérapeutique. Ils sont aussi à l’origine de traces psychiques disproportionnées par rapport à la maladie.

 

4/ Le rôle du médecin est de guérir, et la médecine est de plus en plus efficace. N’est-ce pas là le plus important ?
Notre technique médicale et son efficacité sont le point fort de notre médecine. Il est bien évident que la maîtrise de cette techniques et sa bonne utilisation sont la base et le socle de notre pratique.Mais précisément, alors que la médecine devient plus efficace, on assiste à un engouement croissant pour les médecines parallèles dont l’efficacité thérapeutique est pourtant moins brillante. Cela est probablement dû à deux facteurs : d’une part l’écoute que l’on y trouve, d’autre part une sorte de « philosophie » de l’humain et du « sens » de la maladie qui ne font pas partie intégrante de notre médecine.En effet, rappelons un point essentiel de l’histoire de la pensée médicale. C’est au XVIIIe siècle que la méthode expérimentale découverte en physique, a été transposé à la médecine par Claude Bernard et Magendie.Cette méthode repose sur un raisonnement en 2 étapes : — l’induction : on observe les faits et on en induit une hypothèse ;– puis la déduction : à partir de l’hypothèse, on réalise une expérience afin de vérifier si cette hypothèse est valide. Autrement dit, il faut que l’hypothèse permette de prédire le résultat. Pour être reproductible et démonstrative, l’expérience doit bien isoler les facteurs étudiés de leur environnement, en éliminant tout parasite susceptible de perturber le résultat ou son interprétation.En médecine, pour être performant il a fallu étudier l’organe, puis le tissu, la cellule, la molécule, en les isolant de leur environnement.Le médecin est ainsi parvenu à cette « objectivité » que l’on appelle scientifique. La méthode est extrêmement efficace, mais il y a antagonisme entre cette objectivité scientifique et la place laissée à la subjectivité du patient. Autrement dit, ce que pense le malade, ce qu’il vit, la conception qu’il a de ses symptômes n’apporte rien à la médecine, et en principe au médecin, que ce soit sur le plan du diagnostic, du traitement, ou de l’efficacité sur la maladie. Ainsi « On ne peut prétendre sauver à la fois le discours médical et le discours du patient ». Le cas, le numéro de chambre dont on se sert pour définir les malades à l’hôpital, ou encore le nom des organes dont on se sert pour parler des opérés, ne sont pas liés au manque de temps. Ce sont des conséquences de la façon dont la médecine scientifique est constituée : pour elle, ce qui est visé, c’est la maladie, donc un organe ou un numéro, et non un malade ou un nom. La médecine, de par le fait même qu’elle tend à l’objectivité, s’éloigne donc du sujet, de l’individu, de l’être. Ce qu’elle gagne en efficacité, elle le perd en humanité. Pour ceux qui ont la chance de ne pas être malades, il faut tout de même s’astreindre à accompagner un proche à l’hôpital ou même en consultation pour bien comprendre, autrement qu’intellectuellement, l’importance de la façon dont le patient est pris en compte en tant qu’être humain, ou à l’inverse considéré comme quantité négligeable.Mais ce n’est pas seulement l’humanité du patient qui est perdue, mais aussi celle du médecin. Celui-ci disparaît en tant que sujet au profit de sa seule fonction d’agent de la médecine. On peut d’ailleurs se demander si cette perte de considération douloureusement vécue par nombre d’entre nous n’est pas une conséquence directe de ce phénomène. Peut-être est-ce aussi à ce titre-là que nous n’avons pas intérêt à nous comporter comme de simples techniciens.

 

5/ Que dire à ceux qui envisagent de se former dans ce domaine de la psychosomatique ?
La diffusion du discours psychologisant donne une impression trompeuse de familiarité avec ces notions. Impression qui masque la difficulté et la spécificité de la formation et de la pratique psychosomatique, radicalement différente et néanmoins complémentaire de celle de la médecine. Impression qui masque aussi la grande richesse de ces notions et de cette pratique.Le préalable est de définir le cheminement que nous sommes prêts à effectuer avec nos patients. Autrement dit, appliquer la technique médicale est suffisant pour être un bon technicien de la médecine, mais pas pour être un médecin. Il est cependant indispensable que nous soyons bons techniciens, et c’est d’ailleurs la condition nécessaire pour obtenir son doctorat. Mais est-ce suffisant pour être réellement un médecin ?Cela dit, nous devons faire un choix clair. Si nous ne portons pas intérêt à la vie intérieure de nos patients, il n’est pas possible d’aller à l’encontre de cela. Il est alors préférable de ne pas s’engager dans cette voie ; en effet le risque serait alors de «laisser tomber» le patient en cours de route, ce qui est très néfaste.

 

6/ De quelle notion pourriez-vous nous donner un aperçu ? Peut-être de l’écoute ?
C’est effectivement un bon exemple. Mais là encore, au-delà des notions théoriques, reste la mise en pratique, la compréhension profonde et le vécu de ces notions. 1 – Certes, écouter c’est laisser parler l’autre. C’est aussi :- avoir envie d’écouter ce que le patient a envie de dire ; – savoir écouter aussi ce qu’il ne nous dit pas ;- savoir écouter le langage du corps ; – respecter certains silences. Ecouter, c’est aussi supporter qu’un malade exprime jusqu’au bout ses croyances, ses inquiétudes ou ses doutes (par exemple sur le bien-fondé d’un traitement). C’est aussi écouter pour comprendre l’idée que le patient se fait de sa dermatose, comment il se la représente, sans cela on informe souvent à « coté » : on ne donnera que les explications qui nous semblent importantes, et pas celles qui pourraient l’apaiser, et l’on risque de lui proposer des traitements qui lui paraissent inutiles au regard de sa croyance…Ecouter c’est aussi … savoir parler ! Savoir reformuler ce que dit le patient pour lui montrer que l’on a entendu et compris. Savoir aussi poser des questions si l’on perçoit que le patient « escamote » trop systématiquement certains points.A contrario écouter c’est aussi rester attentif à ne pas laisser le patient se vider de tout ce qu’il a à dire, et à nous révéler des choses qu’il n’a, au fond, pas envie de nous dire, ou tout au moins pas envie de nous dire aussi vite. Et il est parfois difficile de percevoir la limite.C’est aussi savoir écouter, repérer les « temps de blocage » du patient. En effet, parfois le patient « n’entend plus » car les explications du médecin sont en contradictions avec ce qu’il prévoyait. Continuer à expliquer est alors inutile. Il faut savoir repérer cette phase et laisser au patient le temps de la surmonter. Des études ont montré que, chez la plupart des patients, si l’on parle de cancer, ils n’entendent plus ce que le médecin leur dit ensuite pendant 10 à 15 minutes. Tout l’espace psychique est occupé par cette nouvelle, et il est inutile de vouloir faire passer un message. Il faut donc, d’abord, savoir repérer cette phase de blocage, puis laisser au patient le temps dont il a besoin pour la surmonter. C’est aussi repérer les réactions qui ne nous sont pas adressées, à nous en tant qu’individu. Il est alors important d’avoir une attitude « contenante », c’est-à-dire être là, vraiment, à l’écoute au-delà des mots et l’on réalisera alors que telle attitude agressive ou tel entêtement n’est en fait qu’une réaction d’évitement et qu’il serait dérisoire d’y répondre en utilisant le même registre ou cruel d’y rester indifférent.2 – Ecouter, comme vous l’avez compris, nécessite souvent une grande patience, et cela nécessite aussi de savoir nous écouter nous-même, afin de repérer nos propres réactions, nos sentiments qui sont parfois assez puissants pour perturber sans raison apparente la relation. Ce phénomène est nommé contre-transfert. C’est le résultat de « l’influence du malade sur les sentiments inconscients du médecin ». Il est parfois difficile, sur le vif, de ne pas se laisser submerger par nos émotions (peur, agressivité …) à l’égard d’un patient. Cela nécessite tout un travail pour parvenir à mieux cerner ces situations et ne pas entrer dans un rapport de force stérile tant pour le patient que pour le médecin. Par exemple, les maladies chroniques malmènent le médecin dont la vocation s’enracine dans un désir d’efficacité sur la maladie et sur la mort. Quand ce désir n’aboutit pas, le médecin risque de baisser les bras face à la maladie qui lui résiste ou d’abandonner le malade ou de développer des sentiments d’agacement ou même une hostilité à l’égard de son malade. A cet égard, les groupes Balint sont d’un apport très précieux.3 – Mais il s’agit là que d’un aperçu de la question de l’écoute. Il ne s’agit aussi que d’une des notions qui nécessitent d’être approfondies, et cet approfondissement se fait parallèlement sur un plan théorique et pratique. La pratique, essentielle, permet en effet d’apprendre à repérer ce qui nous échappe des particularités de nos patients et de nos mouvements intérieurs, et à éviter de plaquer la théorie sur des situations particulières. La théorie soutient la réflexion, et la relance parfois, sans être un guide. Le contraire de la médecine organiciste.

 

7/ Finalement, comment situer la psychosomatique dans notre pratique ?
Un exemple simple nous donnera un éclairage partiel. Un patient parfaitement opéré d’une maladie de Bowen de la verge a vu trois dermatologues successifs. Leur discours, dit-il, était cohérent et superposable. Malgré tout, il restait très inquiet. Il a fallu 10 minutes pour qu’il parle d’une chose « dont il n’avait pas parlé jusque-là aux médecins ». Il s’agissait de sa femme décédée d’un cancer de l’ovaire 15 ans auparavant, alors qu’elle avait été considérée guérie. Le cancérologue, après le décès, avait même fait relire les lames histologiques tellement il avait été surpris. Et il y avait des signes d’extension du cancer de l’ovaire passés inaperçus quelques années auparavant… Sa confiance dans le pronostic de bénignité était donc fortement ébranlée. De plus, un de ses amis généraliste lui avait dit quelques jours auparavant qu’il n’y avait pas de petit cancer. Cela ajouté aux renseignements collectés sur internet à propos du Bowen et du carcinome spinocellulaire… ne l’avait pas rassuré. Il n’avait pas parlé de cela aux premiers dermatologues. Bien entendu, ce n’était pas un dialogue simple, mais il a été possible d’aborder réellement les questions qu’il se posait. Et de ne pas se limiter à une formule parfaitement exacte, mais qu’il interprétait comme lénifiante : « je vous assure que ce n’est pas grave ». Le fait que le patient puisse exprimer ses peurs à permis au médecin de donner une réponse honnête, et dont le patient a enfin pu tenir compte.La psychosomatique notamment dans cet approfondissement de la compréhension de la relation médecin malade permet :– une meilleure observance thérapeutique; rappelons nous qu’en règle générale seulement 50% des prescriptions sont correctement suivies;– une meilleure compréhension de la maladie par les patients et une amélioration de la qualité de vie, comme ce fut le cas dans l’exemple.Un autre intérêt, et pas des moindres, est de renouveler sans cesse l’intérêt de notre pratique. En effet, comme le disait un de mes patrons « quand on voit son premier mouton à 5 pattes (médical), on frétille. Mais quand c’est le 100e ou plus, on se lasse ; c’est répétitif ». Je prolongerai cette remarque qui me semble au moins en partie vraie, en disant que la seule chose qui change toujours en médecine, c’est l’humain. Un troisième intérêt, c’est d’ouvrir une nouvelle compréhension de ce qui se passe en consultation. Les remarques, les comportements des patients et même leur possible agressivité prennent un autre sens. Sur l’autre versant, apprendre à écouter ses propres émotions, ses sentiments, évite bien des erreurs. Et ces deux aspects sont source de satisfactions quotidiennes.

 

8/ Une conclusion ?
Finalement la question de savoir si une maladie est psychosomatique ou ne l’est pas, est à la fois de grande importance, et sans grande importance :• sans importance car, de toutes façons, il faut soigner la maladie : qu’elle soit psychosomatique ou non, l’atteinte des organes évolue habituellement pour son propre compte ;• de grande importance parce qu’il s’agit de la question de la cause, et par-delà du sens que l’on peut donner à la maladie. De tout temps et dans toutes les cultures, les humains se sont posé cette question du sens de la maladie. Par exemple, très schématiquement, en Afrique quand quelque chose ne va pas, c’est que quelqu’un vous veut du mal, et vous a lancé un mauvais sort. En Europe, c’est plutôt que l’on a fait quelque chose de mal. La culpabilité est au premier plan. À une époque c’était la punition de Dieu, et je dirais que parfois l’explication « maladie psychosomatique » vient en substitution à cette idée de faute.Ces éléments soulignent nos préalables de pensée, et le point auquel nos idées et nos conceptions de l’homme, de sa maladie peuvent être conditionnées par notre histoire personnelle et notre culture. Cela éclaire un peu différemment cette question de savoir si une maladie est psychosomatique ou non. Au-delà de cette question, que la maladie soit psychosomatique ou pas, le patient, lui, est toujours « psychosomatique », au sens où il s’agit d’un être humain qui rencontre une maladie, sa propre maladie, à un moment propre de son histoire. Et sa maladie, quelle qu’en soit son origine, s’imbriquera toujours avec son histoire. La façon dont elle sera vécue, la place, le sens et le relief qu’elle prendra dans l’histoire de ce patient seront largement infléchis par la façon dont elle sera prise en change, comprise et vécue avec l’aide des soignants. Et c’est de cela dont nous sommes aussi en charge en tant que médecins soignants.

 

 

 

ANNEXE :
A – DEUX CATEGORIES DE TRAVAUX PSYCHOLOGIQUES ont été réalisés chez des sujets atopiques : d’une part des rapports détaillés de cas suivis en psychothérapie analytique et d’autre part des études de population.I – Les travaux portant sur la personnalitéDes psychanalystes français (P Marty et collaborateurs) ont décrit chez les sujets atopiques une personnalité dite « allergique » dont les caractéristiques sont aussi fréquemment retrouvées par les dermatologues lors des consultations dermatologiques classiques : avidité affective, dépendance aux membres de l’entourage, avec, à la fois, un besoin de protection et une attitude captatrice et possessive. Ces sujets surprennent parfois, dès le premier contact, par une aisance excessive face à un interlocuteur pourtant non familier.Plus récemment, différents travaux tendent à montrer que par rapport à des malades de groupes contrôles présentant une dermatose ou une maladie organique autre, les malades atopiques se mettraient plus vite en colère avec des difficultés pour exprimer celle-ci. Ils seraient aussi plus anxieux et moins sûrs d’eux-mêmes. Il a été noté par ailleurs une plus grande fréquence du trouble panique chez ces sujets.En outre les sujets atopiques répondraient plus vite et plus facilement par le grattage aux frustrations. Ces frustrations correspondraient le plus souvent à la perte de liens (ou à la crainte de perte de liens) avec la personne dont dépend particulièrement le sujet atopique.Enfin, il a été montré que dans la dermatite atopique, l’intensité du prurit était corrélée à l’intensité de la dépression.II – Le rôle du comportement maternel chez les enfants atopiques.Certaines études mettent en avant le fait que les mères d’enfants souffrant de dermatite atopique éviteraient les contacts physiques et limiteraient les caresses. Ces mères cacheraient leur agressivité à l’égard de leur enfant par ce qu’il est convenu d’appeler « une sollicitude anxieuse ». Il s’agit en fait là de constatations que R. Spitz avait effectuées à partir d’une population de mères célibataires vivant en institution sans population de contrôle. Il faut faire en effet la part dans le comportement phobique décrit chez la mère de l’enfant atopique, d’une exigence instinctuelle excessive de l’enfant déconcertant la mère, d’une maladresse chez cette dernière, bien compréhensible lorsqu’il s’agit d’un premier né, enfin d’un rejet de l’enfant plus ou moins refoulé. Par ailleurs, de telles études ont été effectuées lorsque la dermatite atopique de l’enfant s’était déjà constituée : surprotection maternelle et phobie du toucher peuvent aussi être interprétées comme une réaction de ces mères à une maladie physique de leur enfant, vécu comme endommagé, tout mouvement agressif devant être évité par la mère, en raison de sa culpabilité, au profit d’une attitude réparatrice.III – Les travaux portant sur le stressLe caractère très fluctuant de la dermatite atopique a favorisé une observation longitudinale de cette affection, dans le but de dégager des associations significatives entre des variables psychologiques et les symptômes cutanés et de les interpréter en termes de causalité.Sur une durée brève de 15 jours, chez 50 sujets souffrant de dermatite atopique, une technique d’auto-évaluation a été mise en place (compte rendu quotidien ou journal intime). Les résultats obtenus ont été, en particulier, les suivants : le stress, et la dépression étaient significativement liés aux poussées d’eczéma. Un stress le jour J prédisait une poussée d’eczéma le jour J + 1. Cette relation était réciproque. En revanche, un vécu dépressif le jour J ne prédisait pas de poussée d’eczéma le jour 1 +1. Mais une poussée d’eczéma le jour J prédisait un état dépressif le jour J + 1…IV – Deux autres catégories d’études méritent aussi d’être signalées :- l’effet des suggestions hypnotiques sur les phénomènes allergiques est connu depuis longtemps. Des travaux récents ont permis, par exemple, de mettre en évidence lors d’une sensibilisation au dinitrochlorobenzène et au diphénylcyclopropenone, des réactions cutanées retardées modifiées en intensité de façon significative, selon les suggestions hypnotiques proférées ;- pour certains spécialistes, le stress serait plutôt immunosuppresseur, alors que la relaxation augmenterait les défenses immunitaires. Les résultats d’une étude méta-analytique sur l’expression des récepteurs de l’IL-2 sur les lymphocytes et sur l’effet de la relaxation sur la concentration en IgA vont dans ce sens.B – IMPLICATIONS THERAPEUTIQUES.Les implications thérapeutiques liées à la prise en compte des facteurs psychologiques dans la dermatite atopique sont très nombreuses. Nous en citerons quelques unes et nous insisterons plus particulièrement sur l’une d’elles- le développement des aspects cosmétologiques et esthétiques de la prise en charge des sujets atopiques ;– la mise en place de programmes d’éducation pour la santé visant non seulement le malade, mais aussi son entourage familial. Différentes études soulignent l’importance de la qualité du support familial et social pour l’évolution de la dermatite atopique ;– l’utilisation mieux codifiée et plus aisée des psychotropes et en particulier des antidépresseurs par les dermatologues eux-mêmes ;– le recours aux différentes approches psychothérapiques.Un essai thérapeutique randomisé a comparé cinq groupes de sujets atopiques, expérimentant cinq traitements différents. Le premier groupe a suivi un programme d’éducation pour la santé, le deuxième une relaxation de type training autogène, le troisième une psychothérapie cognitivo-comportementale, le quatrième l’association d’un programme d’éducation pour la santé et d’une psychothérapie cognitivo-comportementale, le cinquième le traitement médical classique de la dermatite atopique avec, en particulier, une corticothérapie locale. La cible thérapeutique de la relaxation et de la psychothérapie cognitivo-comportementale était les sensations de démangeaison et le grattage.Après un an de suivi, on a constaté une amélioration de la symptomatologie cutanée significativement plus importante chez les sujets du deuxième, troisième et quatrième groupe, accompagnée d’une diminution significative de la quantité de corticoïdes appliqués sur la peau.ConclusionÀ la lumière des données apportées par tous ces travaux d’ordre psychologique, il paraît évident qu’il serait regrettable pour les malades, les praticiens et les chercheurs d’ignorer le rôle des facteurs psychologiques dans la dermatite atopique et de rester par conséquent sur des positions irréductibles liées à des malentendus anciens.